vendredi 27 mars 2015

Sacrifice, communauté, pauvreté et vie



René Girard présentant rapidement son ouvrage Des choses cachées depuis la fondation du monde à la télévision.

Sacrifice, violence et sacré, paganisme et judéo-christianisme, bouc émissaire. 

« …Et très rapidement, le mimétisme va rassembler la communauté entière contre une victime, au fond, aléatoire ».








Sacrifice et sacrifices, Anatolie néolithique, agriculture et chasse, sacrifice et sacré, sacré et saint…

Featuring René Girard et les aurochs.
Suivi d'Ysé Tardan Masquelier, et du Père Jean-Robert Armogathe :

« …L’essence du sacrifice, c’est d’être un hommage du néant à l’être » :







Trois interventions, enfin, sur le thème "Pauvreté et jouissance" : par Jean-Guilhem Xerri, des considérations générales relativement évidentes mais parfois brusquement pertinentes ; par Nahal Chahal, sociologue, qui éclaire des situations de pauvreté notamment en Égypte et au Liban ; et enfin, et peut-être surtout, par Monseigneur Pierre D'Ornellas, une déclaration relativement brève et extrêmement simple, et juste et belle, sur les êtres humains réels, rencontrés et nommés, à qui il aurait voulu plutôt donner la parole, que les citer ; et sur la mort, et sur le dénuement, l'humiliation, et sur la vie ; dans une relation, bien sûr, à la parole chrétienne, la première historiquement à s'être adressée au pauvre - ce singulier choquant prend son sens à mesure qu'avance l'intervention de Mgr Pierre D'Ornellas -, et à lui avoir rendu, au même titre que le bien-portant, sa place d'être humain entier et vivant, et peut-être même, non pas seulement, à qui il fallait "aussi" s'adresser, mais à qui il fallait, peut-être, particulièrement s'adresser. Et qui en échange de son manque de tout, accèdera, s'il peut s'en saisir, à quelque chose de l'ordre de la vie. 

« Mon âme colle à la poussière. Mon âme est du côté du vide. »

« Avant que je sois humilié, moi, je m’égarais. » 




dimanche 22 mars 2015

22 mars 2015



Chère France, chère gauche, chère droite, ça y est, vous m'avez eu : je ne vais pas aller voter. J'en ai plus rien à foutre que ça soit l'extrême-droite ou vous. Vous êtes tous la même chienlit capital-fasciste inhumaine criminelle, vous pouvez bien tous aller vous faire foutre. Non je ne crois pas une seconde que si l'extrême-droite passe, les gens vont se rebeller et faire la révolution avec leurs petites fourches. Je crois que l'extrême-droite va passer, à un moment ou à un autre, d'une manière ou d'une autre, sous un nom ou un autre, sous une forme ou une autre, et que ça continuera comme c'est, en augmentant le pire d'un peu, encore un peu, toujours encore un petit peu plus. Je crois seulement que nous sommes déjà en extrême-droite. Nous sommes déjà dans l'après-démocratie. Nous sommes déjà dans l'après-système représentatif. Comme le sucre en caramel, la démocratie représentative a fondu en oligarchie, retournant à son point de départ. Tout le chemin est encore à refaire, tout le cycle, mais d'abord il semble qu'il lui faille passer par une chute complète. Chute donc, mon petit. Si c'est ça que tu veux.







mercredi 11 mars 2015

Fukushima maintenant



S'il vous plaît, lisez, copiez-collez, diffusez et partagez. 


11 mars 2015, Fukushima + 4 ans. Même en se basant seulement sur les déclarations de Tepco eux-mêmes, cet article du Monde est un tissu de mensonges infiniment en-dessous de la réalité. La situation qu'il décrit, nous serions bien heureux de l'avoir. En réalité un chaos bien plus sombre règne à l'Est du Japon :

- "« Le Japon a fait des progrès significatifs. La situation sur le site s’est améliorée. Mais elle reste très compliquée. » Tel est le constat des experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA)"
> Non c'est faux la situation est de pire en pire, tous les deux jours la radioactivité sur site se multiplie par 2500 ou par 10 000 (oui oui) sans que personne ait la moindre idée de l'explication, Tepco donne des conférences de presse pour relater les pics soudains sans être capable d'y apporter d'explication, ce qui est normal puisqu'à l'heure actuelle personne n'en est capable. 

- "« Un travail considérable a été réalisé avec d’énormes moyens.»" 
> Faux, la communauté internationale scientifique et politique n'a cessé depuis quatre ans de critiquer l'incurie de Tepco (sans jeu de mots), l'absence de volonté de mettre en œuvre les moyens réels qui auraient pu enrayer de manière un peu plus efficace la catastrophe qui s'annonçait, et leur amateurisme assumé sur beaucoup de points, dû à une priorité qui n'était pas de résoudre une situation extrêmement menaçante pour la terre entière et l'espèce humaine dans son ensemble, mais de préserver au maximum les intérêts de leurs actionnaires. (Oui, vraiment, comme dans les films, oui, vraiment.)

- "Plus de 6 000 ouvriers se relaient en permanence – les niveaux de radiation obligeant à faire tourner les équipes – pour une gigantesque entreprise de démantèlement qui ne sera pas achevée avant trente ou quarante ans." 
> Le chiffre annoncé par Tepco correspond à 40 et non 30 ans, cependant même ces 40 ans ont toujours été avancés comme miraculeusement et sans jamais, en plus de mille conférences de presse quotidiennes depuis le 11 mars 2011, donner le moindre indice de planning ou d'évaluation factuelle qui pourrait justifier une telle projection. Concrètement, aucun fait ne permet d'étayer la moindre hypothèse temporelle. 

- "Ce sont donc, quotidiennement, 650 tonnes d’eau radioactive qui doivent être pompées et traitées, avant d’être, pour une part, réintroduites dans le circuit de refroidissement et, pour le reste, entreposées sur le site, dans près d’un millier de réservoirs alignés à perte de vue ou enterrés. Plus le temps passe et plus le stock augmente : il se monte actuellement à 600 000 tonnes, et Tepco a d’ores et déjà prévu une capacité de stockage de près de 800 000 tonnes."
> Faux, il y a plus d'un an et demi que ces cuves sont pleines, il n'y a plus aucune capacité de stockage disponible, Tepco a vu venir longtemps à l'avance le moment où les cuves seraient pleines, et, tout en sachant que chaque cuve demande 1 mois de construction (oui), n'a jamais mis en place de programme pour relancer à temps la construction de nouvelles cuves. (Par ailleurs celles qui sont pleines, pour une bonne part, fuient.)

- "Après avoir subi une série de pannes, ils peuvent aujourd’hui traiter jusqu’à 2 000 m³ d’eau par jour, pour en éliminer l’ensemble des radionucléides, à l’exception du tritium, pour lequel il n’existe pas de procédé d’extraction." 
> L'ensemble des radionucléides excepté le tritium ? C'est faux ou c'est une blague ? À part le tritium, tous les éléments radioactifs sont quotidiennement traités ? À part le tritium, tout va bien ? À quelle heure, en quel lieu ? Merci d'écrire à la rédaction du journal pour tout détail sur cet "ensemble" quotidiennement traité. 

- "Si bien que Tepco espère avoir bientôt dépollué toute l’eau entreposée sur le site : au début de l’année, l’entreprise a annoncé que cet objectif ne serait pas atteint fin mars comme prévu, mais, « si le rythme actuel est maintenu, courant mai »." 
> Faux, faux, faux et archifaux, Tepco nage dans le chaos et il est absolument impensable à l'heure actuelle d'envisager avoir "dépollué toute l'eau entreposée sur le site" ni en mai ni en juin ni dans cinq ans, parce qu'on n'a pas la moindre idée encore de comment ce serait bien possible. 

- "Fin février, des capteurs placés sur une conduite d’évacuation des eaux pluviales et souterraines vers la mer ont ainsi mesuré des taux de radioactivité 70 fois supérieurs aux valeurs habituellement enregistrées sur le site."
> Faux, faux et archifaux, on mesure régulièrement des pics de radioactivité * plusieurs milliers de fois *, oui, *plusieurs milliers de fois*, supérieurs à celle habituellement mesurée sur le site (qui est déjà elle-même largement supérieure à celle d'un honnête salon parisien), et sans aucune explication pour ces pics. Les conférences de presse de Tepco elles-mêmes attestent de ces chiffres, ce ne sont aucunement des extrapolations mais des données parfaitement vérifiables, ces mesures sont faites par Tepco eux-mêmes et divulguées par Tepco eux-mêmes lors de leurs conférences de presse, et sans explication donnée.

- "Quelques jours plus tard, c’est une nappe d’eau de vingt mètres de long qui a été découverte dans le bâtiment des turbines d’un réacteur."
> Pas faux mais extrêmement incomplet, puisque tous les deux jours on découvre des fuites de 2 tonnes, 650 litres, dix mètres… Cette nappe n'a rien d'un événement exceptionnel, c'est comme découvrir un mort à la guerre, c'est le quotidien et le permanent. Ça fuit de partout, ça gicle, ça vomit de l'eau à l'atome à tous les coins de centrale, le navire prend l'eau de tous les bouts.

- "Pour limiter les rejets dans le Pacifique, une batterie de parades a été déployée."
> Et abandonnée depuis, à l'heure actuelle Tepco rejette 650 tonnes d'eau extrêmement radioactive par jour dans le Pacifique, de manière tout à fait officielle et vérifiable dans leurs conférences de presse. Ils se sont même récemment appuyés sur les conclusions de l'Agence internationale de l’énergie atomique, qui après inspection déclarait qu'il n'y avait actuellement pas d'autre solution, pour transformer discrètement leurs propos en prétendant que l'Agence "préconisait" le rejet dans le Pacifique de ces eaux radioactives. Non, "il n'y a pas d'autre solution que mourir" et "préconiser la mort" sont deux choses vivement différentes.

- "… un « mur de glace » souterrain destiné à faire écran entre la nappe et les bâtiments nucléaires, grâce à l’injection d’un liquide gélifiant dans un réseau de 1 500 tuyaux enterrés. Les essais de glaciation du terrain devraient débuter cet été."
> Faux, cette barrière a été envisagée, les travaux ont commencé en 2014, Tepco a voulu faire des économies (c'est prioritaire face à la santé publique) en n'adjoignant pas au mur de glace le mur d'argile qui aurait pu un peu en augmenter les chances d'efficacité, on a vaguement essayé quelque temps mais ça ne marchait pas, ça fondait, ça ne prenait pas, ça ratait, et les travaux, loin de commencer cet été 2015, ont déjà été *abandonnés* à cet été 2014. 

- "A terme, toute l’eau accumulée devra pourtant, une fois traitée, être rejetée dans l’océan. C’est la solution que préconise l’AIEA."
> Faux deux fois : 1, à l'heure actuelle, toute l'eau EST rejetée dans l'océan et sans traitement. Et 2, l'AIEA n'a pas du tout "préconisé" cette solution, mais a seulement constaté que compte tenu de l'état catastrophique des installations, du fait que Tepco n'a construit en 4 ans aucune citerne de stockage supplémentaire, et du fait que la catastrophe et la radioactivité augmentent sans qu'on n'y puisse rien, et du fait qu'à l'heure actuelle l'humanité ne DISPOSE PAS de solution, eh bien concrètement on ne peut rien faire d'autre, que d'aller en faire profiter les poissons. 

- "D’autant que la pollution du milieu marin, si elle a beaucoup décru, n’a pas disparu."
> Faux au point qu'on ne voit même pas sur quelle fantaisie l'article peut se baser pour avancer cela, la pollution du milieu marin ne fait qu'augmenter chaque jour, tout le monde le constate, toutes les mesures le montrent, et le bon sens interdit de supposer le contraire étant donné qu'on continue de verser 200 000 tonnes d'eau extrêmement radioactive par mois dans l'océan, comment diable la pollution en milieu marin pourrait-elle bien décroître, je vous le demande. 

- "Dans un rayon de 20 km autour de la centrale, on trouve des « points chauds » où la radioactivité des sédiments marins atteint 5 000 becquerels par kilo (Bq/kg)."
> Ce serait tellement bien si l'on avait seulement quelques points chauds dans les 20 km autour de la centrale. La vérité c'est qu'on trouve des poissons radioactifs jusqu'aux côtes de Californie, et qu'on finira bien par en trouver à la Bourboule et dans votre lit.

- "Ce qui explique que la pêche demeure interdite dans la préfecture japonaise."
> Faux, le premier ministre Abe a autorisé la réouverture de la pêche dans les eaux avoisinantes, en nourrit sa population et exporte dans les pays voisins ses poissons au mieux incertains (la Corée refuse, Singapour accepte), en mentant bien entendu à tout le monde sur le danger réel que représentent ces denrées. 

- "Le plus difficile reste à venir : l’évacuation des cœurs des trois réacteurs, qui ont fondu juste après l’accident en formant un magma extrêmement radioactif (du corium), lequel a perforé les cuves et s’est répandu au fond des bâtiments."
> Vrai, c'est le plus difficile, dans la mesure ou à l'heure actuelle personne sur cette foutue terre n'a la MOINDRE idée de comment on pourrait bien s'y prendre. Entre-temps, le cœur fond, descend conséquemment dans le sol, et finira à un moment ou à un autre par atteindre les nappes phréatiques, et à répandre la mort dans tout le pays à la vitesse d'un avion de chasse. 

- "Tepco ne prévoit pas de s’y attaquer avant 2020 ou 2025."
> Ça, c'est vrai. De toute façon de manière générale, Tepco ne prévoit pas de s'attaquer aux problèmes avant la Saint-Glinglin, alors 2020 ou 2025, c'est sûr, c'est bien le minimum.

- "Une intervention humaine directe est impossible."
> Ça, c'est sûr. 

- " Il faudra localiser le corium avec des caméras, concevoir des robots commandés à distance avec des outils de découpe et d’extraction spéciaux, fabriquer des conditionnements adaptés…"
> Ça, c'est vrai. Par contre, pour l'instant, depuis quatre ans, ces conditionnements adaptés, ces robots, personne ne cherche à les concevoir. Alors on a bien le temps avant qu'ils apparaissent.

- "Une intervention que l’AIEA qualifie d’« énorme défi à long terme » et qui n’a encore été réalisée nulle part ailleurs."
> Ça, c'est vrai. On peut même être un peu plus vrai encore, en disant que c'est un défi qui n'est pas seulement "énorme" mais très simplement et très nettement *au-dessus* des capacités scientifiques et techniques actuelles et immédiatement prochaines de l'humanité, et que comme pour l'instant tout le monde s'en fout, et que personne ne cherche à le résoudre, le "long terme" risque de durer bien longtemps.


On admire des concombres qui émettent la nuit une belle lumière bleue.




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Tout le monde est responsable. Chacun est responsable. Chacune est responsable. C'est maintenant. C'est vous, c'est nous.



mardi 10 mars 2015

10 Mars 2015, Dead Cities



10 mars 2015, date de commémoration du 10 mars 1945, où les Américains ont détruit en une nuit aux bombes incendiaires le tiers de Tokyo et brûlé 95 000 civils qui n'avaient rien demandé à personne, sera l'occasion de vous recommander ce livre remarquable, Dead Cities de Mike Davis, dont tout le premier tiers est consacré aux essais de bombes incendiaires réalisés par les Américains dans le Nevada - ou je ne sais plus quel désert à la con dont les États-Unis ont le secret - sur des "maquettes" des quartiers populaires de Berlin et de Tokyo, réalisées à l'échelle 1 et en utilisant les architectures et les matériaux réels des quartiers populaires de ces villes, en collaboration avec des architectes, des scientifiques, et des décorateurs de la RKO, le grand studio hollywoodien, pour déterminer, sur la base de ces architectures et matériaux réels, quels types de bombes les brûleraient le mieux quand on irait les brûler en vrai. Alors on construisait, on essayait (on brûlait), on reconstruisait, on réessayait un peu différemment (on re-brûlait, avec une formule arrangée), on reconstruisait…
Et on élaborait des stratégies sur quels quartiers aller brûler en priorité, et dans quel but politique et social (émeutes populaires, par exemple), etc. 
Dégueulasse, très documenté et très instructif (trois termes ici hélas tristement synonymes).
Le second tiers évoque les "écologies de la ruine", ou quelque chose comme ça - d'observation et de projection, que se passe-t-il quand un écosystème urbain et régi par l'homme est soudain vidé de l'homme : quel écosystème apparaît, que font les plantes, les animaux, qu'est-ce que ça crée et où ça va ?
Enfin, la dernière partie fait retour sur l'escalade sécuritaire américaine de la décennie post-11 septembre, la croyance riche qu'en mettant les pauvres à l'écart "on" s'en sortira, et la preuve par a + b que le jour où les pauvres commenceront à s'effondrer des maladies qui auront pu émerger à cause des conditions de vie et d'hygiène qu'on leur aura crées, les riches mourront aussi. Bonne journée.


Mike Davis, Dead Cities, Les Prairies Ordinaires, Paris, 2009, 12 €

Trouver ici.


Santours



- 26 février 2015 -

Dans la rame, le monsieur jouait du santour. Le santour, c'est cet instrument moyen-oriental qui ressemble un peu à une cithare, quand on ne connaît pas bien la différence entre un santour et une cithare ; peut-être turc, peut-être iranien, je ne sais pas ; j'ai envie de dire "perse", mais va savoir ; je suppose que c'est comme le houmous, ça vient d'un peu partout ; ça se joue avec deux baguettes en bois qui viennent frapper les cordes horizontales, comme une sorte de piano qui se porte, se pose sur une table ou se porte en sangle, avec des harmonies qui ne sont pas celles du piano qu'on trouve dans les maisons de France. Certains jouent du santour sans grande subtilité, mélangeant comme on sait des fragments de Lettre à Élise avec des refrains de Dalida, ils tapent sur les cordes comme ils peuvent, s'en fichant un peu à vrai dire, parce qu'il faut bien gagner trois francs, et que ça reste un des possibles. Lui non, il jouait d'une grande douceur, ça passait du doux au plus fort avec beaucoup de naturel, de subtilité, on sentait, en un mot, que c'était vraiment un musicien. Peut-être même, me suis-je dit, c'est sans doute un très bon musicien de santour, quelqu'un qui dans son pays, que je ne connais toujours pas, est considéré comme un très bon musicien de santour, qu'on respecte pour ça, qu'on félicite, qu'on remercie ; qui ici, en France, vend ça pour trois francs dans une rame puis l'autre du métro, de la ligne 8, en espérant qu'on l'entende, en espérant qu'il ait trois francs. Après avoir joué il est passé, je lui ai souri désolé en disant j'ai pas ; je le savais, j'avais eu 75 centimes de monnaie dans ma poche, que j'avais filé deux heures avant à un pépé fini qui vendait un journal à la gare Saint-Lazare, qui ne m'avait pas vu, avait pris ses 75 centimes, les avait comptés, alors pour lui, pour le joueur de santour, je ne les avais plus. Il a dit quelque chose en me souriant désolé, il a fait son petit tour auprès des autres, à peine du regard, ça n'intéressait personne, il l'avait vite vu, on s'est re-regardé, je lui ai re-souri, en souriant aussi il m'a dit : "Je suis triste. Bonne soirée."

À la station suivante je suis sorti du métro ; tandis que je passais les portes, arrivait au tourniquet une très belle jeune fille ; l'ayant regardée approcher je me demandais si c'était ou non **, que je connaissais, mais n'avais pas vue depuis longtemps. Quand elle est arrivée à ma hauteur, bataillant un petit peu pour faire accepter au tourniquet son pass navigo à travers son sac, je l'ai appelée du nom de celle que je connais, interrogativement ; elle ne m'a pas entendu je crois, je ne l'ai pas dit fort ; le temps de supposer qu'elle n'avait pas dû m'entendre j'avais continué de la regarder en attendant qu'elle me réponde, ou pas, et j'ai pu me dire que ce n'était pas celle que je connaissais ; qui est encore plus belle, extrêmement, vraiment ; c'est incroyable. Je suis sorti et il pleuvait. Une vraie pluie, une qui va durer jusqu'à ce qu'elle en ait assez, qu'elle ait bien dit tout ce qu'elle avait à dire, qu'elle ait bien plu, bien duré, bien mouillé tout le monde. Il n'y a rien dans ce monde qui soit plus beau que les jolies filles qui sont vivantes, il n'y a rien. Ceux qui ne comprennent pas ça ou qui continuent de dire autre chose, comme si on le savait bien mais qu'en même temps on allait quand même dire autre chose, n'ont rien compris à rien. Ce n'est pas autre chose qu'il faut dire, c'est ça. J'ai marché vers chez moi et dans un restaurant industriel un tout petit yorkshire minuscule, avec un tout petit morceau de cuir pour couvrir son dos, se levait pattes avant sur les pieds de la table, remuant frétillant très fort dans l'espérance surexcitée d'avoir un morceau de moule, un morceau de frite, un morceau de bifteck.

Gérard Violette est mort



- 24 septembre 2014 -

Je ne vois pas de RIP partout comme c'est le cas d'habitude, alors si comme c'était mon cas il y a deux minutes vous ne le savez pas, je vous en informe : Gérard Violette vient de nous quitter. Il faut bien toujours que ça arrive, mais tout de même, c'est bien triste. Du peu que je l'avais aperçu - à ses présentations de saisons, ou saluant comme moi Xavier Le Roy, que je ne connaissais pas non plus personnellement, après la première de Self-unfinished… -, il s'exprimait toujours d'une manière qui laissait apparaître beaucoup de finesse, de sensibilité et d'intelligence, qu'il avait mises (vous avez vu ? même grammaticalement les qualités sont féminines) au service de la magnifique programmation de danse contemporaine qu'il avait donnée pendant de nombreuses années au Théâtre de la Ville.