jeudi 2 avril 2015

Interview Charlemagne Palestine / Mondkopf



Drôle d'endroit pour une rencontre - Charlemagne Palestine & Mondkopf
Propos recueillis par Jérémie Grandsenne et Mathias Kusnierz

Interview réalisée pour Chronic'art à l'occasion de Sonic Protest :


Le 8 avril, dans le cadre du festival Sonic Protest qui s'ouvre ce soir et de l’imposante église Saint-Merry à Paris désormais habituée des concerts hors-normes, Charlemagne Palestine rencontrera Mondkopf, et l’on ne sait pas du tout à quoi ça va ressembler. On leur a donc demandé ce qui les rassemble : le jeune français Mondkopf, électronicien réservé et tête du label In Paradisum, s’exprimant avec modestie, et le grand Charlemagne Palestine, figure historique, chamanique et iconoclaste d’une école "minimaliste" qu'il réfute lui-même avec veeeeeeeeerve et énerggggggie, répétant les mêmes caractères comme il le ferait des notes d'un piano, d’un orgue, ou d’un harmonium. Dans la course, ses virgules se suivent comme autant de points de suspension, d’indications de rythme : bien sûr, nous livrons en l’état la partition. 

Charlemagne Palestine, Mondkopf, vos musiques sont en apparence très différentes, pourraient presque paraître opposées : d’un côté, le pianiste (et organiste, et harmoniumiste) minimaliste, à qui deux notes suffisent pour jouer une heure de belle musique, et de l’autre, le musicien aux influences électroniques, black metal et industrielles. Comment votre rencontre imprévisible a-t-elle eu lieu, et qu’en attendez-vous ?
Charlemagne Palestine : Bien que je puisse effectivement faire de la musique avec seulement deux notes,,,,, je peux aussi faire et j’ai fait des musicss avec des milliers de notes ou des tuyaux d’orgues, et je préfère le terme de « piano liquide » à celui, surutilisé et mal utilisé et qui ne s’applique pas à moi, de « minimal »,,,, car comme je,,,, peux jouer avec deux ou des milliers de notes,, le terme,,, maximal, est plus approprié,,,,, 
Mondkopf et moi avons joué pour la première fois ensemble à la Carrière de Normandoux en 2012,,,, c’est Jérémy Verrier et Stéphane Roux qui avaient proposé le dduo et j’ai tout de suite accepté le challenge,,,, la performance s’est très bien passée,,, Mondkopf et moi nous sommes très bien entendus et avons collaboré facilement,, donc ce n’était pas une surprise qu’on nous demande de rejouer ensemble, et j’ai hâte que le second tour arrive, comme pour des boxeurs ou des catcheurs (haha)!!
Mondkopf : Notre rencontre s'est faite par hasard. Le festival In Finé Workshop prévoyait de faire jouer Charlemagne Palestine avec Jackson & his computer band, mais celui-ci a annulé. Ils m'ont donc contacté pour le remplacer. Je connaissais les travaux de Charlemagne et j'écoute beaucoup de musique répétitive, c’était donc un honneur de pouvoir travailler avec lui ! 
Avez-vous l’impression que votre apparente différence a aussi des points communs plus abstraits, des « manières différentes de faire la même chose » ? Par exemple, un rapport au motif répétitif, ou une quête de transe, ou encore, si l’on peut le dire ainsi, des sons qui ne viennent pas du « centre du son » mais en quelque sorte des « périphéries » — comme les harmoniques du piano, par exemple, ne sont pas le « centre » du son, la note elle-même, mais en quelque sorte arrivent des bords et finalement peuvent envahir tout l’espace sonore ?
M : Je suis vraiment attaché à l'idée de transe dans la musique. J’aime l'idée que la musique soit puissante, qu’elle produise des émotions qui passent par le corps. C’est très important pour moi, en particulier, la façon de déclencher des mécaniques du corps qui peuvent aller jusqu’au vertige. Si un aspect harmonique s’ajoute à ça, on peut toucher à ces moments de transcendance où ton esprit se déconnecte de tout. Mais il faut que le public puisse ressentir la même chose, car si tu es tout seul dans ta transe ça n'a aucun intérêt.
CP : Je préfère la notion de liquidité à celle de répétition ,,,, transe, ouiiii ,,,,, des sons qui viennent du centre aux bords,, ?? J’aime les deux,, les territoires,,, tous les territoires,,, du proofond centre aux plus looointains et laaarges bords,,,,, touttt est bien !!!

Quel est votre regard respectif sur le monde musical de l’autre, non pas sur la musique que chacun d’entre vous fait personnellement, mais la musique autour de vous, la musique dont chacun de vous provient, ou de laquelle il s’entoure ? Charlemagne Palestine, comment ressentez-vous le monde musical de Mondkopf, et Mondkopf, quel est votre sentiment sur celui de Charlemagne Palestine ?
M : Je ne pense pas assez connaître ce « monde musical » de Charlemagne pour pouvoir répondre à cette question.
CP : ,,,, Je vois / entends le monde de Mondkopf comme aussi des varrriations des évolutions d’un continuum, drone, transe, traditions,,, parmi d’autres, que ma génération et moi avons découvert une génération plus tôt, des,,,, antiques,,,, primitives,,,, originelles,,, musiques des cultures du monde,,, et des rituels qui ont existé pendant des centaines et des milliers d’années déjà dans les traditions non-occidentales,,, de sorte que nous sommes des générations différentes influencées par des sources très anciennes et que nous nous sommes développés différemment avec de nouvelles expressions et de nouvelles technologies, parce que des temps nouveaux sont là,
Que pensez-vous du Black Metal et du fait que des gens comme Stephen O’Malley soient profondément influencés par le minimalisme américain et la musique contemporaine académique ? 
M : C'est stimulant, ça ouvre des portes sur de nouvelles façons de faire de la musique, en intégrant plein de techniques indépendamment des genres. Après, j'apprécie moins quand tout ça est intellectualisé. 
CP : Encore une fois, je résisterai à ce qui me semble un gros mot, ce terme de minimal,,, et je lui préferrrerai pour ma part celui de maximal,,,,,,, quant à l’académie,, si pompeuse et coincée, dans tous les sens, formes, manières,,,, une tradition,,, je l’évite autant que possible!!!

Charlemagne Palestine, même si vous continuez aujourd’hui de composer indépendamment d’une époque ou d’un style restreint, et que comme vous le dites vous réfutez l’académisme, vous êtes originellement relié au mouvement minimaliste américain, qui comprenait aussi des artistes visuels : Donald Judd, Sol LeWitt, Dan Flavin, Carl Andre, pour n’en nommer que les plus connus.
CP : Une fois encore, je souhaite ne pas reprendre à mon compte votre remarque et votre obsession au sujet de ce mot, « minimal ». Pour moi, « minimal » revient à laisser un petit pourboire mesquin dans un restaurant ou un bar. Les minimalistesss visuels, ce n’est qu’un terme qu’ils ont proposé, « minimalisme »,,, un terme qu’ils ont apprécié,, accepté,, et qui, mêmme, exxxplique leur expérience. Pourtant je pense que LeWitt – si on fait bien attention aux formes,, aux couleurss,, aux variations,, aux combinaisons,,, et à leurs développement,,, – eh bien c’est trèsss difficile, en fin de compte, de le ranger dans ce petit mott coincé du cul,, minimalisme. 
Et que ressentez-vous face à l’art actuel ? Vous sentez-vous proche d’une scène particulière ?
CP : Je me sens proche de tous les arts du présenttt, y compris les plus jeunes, plus ouverts à la fusion des atmosphères de ce présent,,, et prendre congé du minimal à jamaisss et accueillir le maximal pour toujourrrs,,
Mondkopf, vous avez créé un live avec le collectif visuel Trafik. Est-ce une manière pour vous de tisser un lien entre musique et arts visuels ou émotions visuelles ?
M : À la base, je ne suis pas très amateur des lumières de scène. Je crois que je préfère un concert dans le noir total plutôt que d'avoir des lumières de toutes les couleurs qui se baladent, surtout si elles sont en décalage avec la musique. Mais comme j'aime aussi tout ce qui touche à l'image ou aux visuels, j’essaie d'en incorporer dans ma musique, pour lui apporter une dimension supplémentaire. L’idée étant que ça cela reste assez abstrait pour laisser de la place pour l’imagination, que le live reste un pur moment de décrochage de la réalité. On peut penser que la musique se suffit à elle-même, mais j'aime trop les images pour ne pas en utiliser.
Charlemagne Palestine, vos performances naviguent entre rituel et installation : vous apportez tout un environnement physique et visuel avec vous. Ce lien entre votre musique et les arts visuels, la sculpture notamment, est-il particulièrement important ou significatif pour vous ? 
CP : Comme vous le dites, mes performances relèvent à la fois du rituel et de l’installation, j’apporte avec moi tout un environnement visuel et physique afin de relier les arts visuels, la sculpture, l’installation, la performance,,,, c’est pour ça, comment tout cet ensemble serait-il minimal??? c’est plutôt « total » qu’il faudrait dire.

Votre collaboration à Sonic Protest sera-t-elle complètement improvisée, ou un peu écrite tout de même ? Est-ce que vous répétez, ou jouerez-vous au débotté ? Comment en êtes-vous venus à être en phase l’un avec l’autre ?
CP : Pour le concert de la Carrière de Normandoux, nous n’avions absolument pas répété,,, à peine un sound check,,, avant la performance,,, cette fois nous avons trois jours à passer ensemble,,, aucune idée de ce qu’on va en faire,,
M : Notre live sera un peu de tout ça. De mon côté, je prépare un set-up pour être a l'aise avec la musique de Charlemagne, et apporter quelque chose en plus. On va répéter / improviser ensemble sur plusieurs jours avant le concert. Ces séances sont assez courtes en général, mais ça suffit à ce se mettre en phase avec lui, et à développer mon propre scénario à l'intérieur de ses improvisations de piano / voix / field recordings.
Que voulez-vous faire de ce concert ? 
M : Je tiens vraiment à être en harmonie avec sa musique. Je ne veux pas que ce live ressemble à deux artistes qui font leur musique habituelle, sans s'écouter.
CP : Pour moi,,,, miiiiieux que le meilleurrrrr,,, pirrrre que le pirrrre,,, au meilleurrrr sens du terme !!
Qu’a apporté votre collaboration passée à vos musiques respectives ? Allez-vous simplement réitéré votre collaboration selon les mêmes termes ou allez-vous tenter de la poussez plus loin ?
CP : Je ne me souviensss pas de ce que nous avons fait,,, dooonc rien à réitérer,, juste vivre, voir, entendre dans le moment présent,, c’est ce que je fais en généraaal et c’est ce que je ferai pour Sonic Protest.
M : Ce live à Poitiers, c’était le premier live où j'ai utilisé ma voix. Depuis, j'adore crier dans un micro ! C'est l'étape ultime de la catharsis que peut apporter une performance live. Pour ma part, ma musique a pas mal évolué depuis ce premier live ensemble. J’ai aussi plus de machines analogiques qu'avant, et je compte bien les utiliser pour Sonic Protest, ça ne risque donc pas d’être une redite.

Mondkopf, vous avez souvent dit que votre musique était une façon d’en apprendre davantage sur ses propres émotions. Charlemagne Palestine, on pourrait penser que votre musique a une dimension plus cérébrale. Comment faites vous se rejoindre ces contraires quand vous jouez ensemble ?
M : En s'écoutant, j'imagine. Une musique réellement transcendantale et cathartique doit de toute façon intégrer ces deux aspects.
CP : Ma musique n’est pas plus cérébrale que celle de Mondkopf,,,, juste un style différent,,, si les auditeurss sont cérébrauxx, peut-être perçoivent-ils une attitude cérébrale,, qui n’est pas mon intention,,, et c’est la première fois que j’entends le terme de « cérébral » à propos de mon travail.
Comment tirerez-vous parti de l’espace spécifique de l’église Saint-Merry ? Avez-vous l’intention d’utiliser l’acoustique et l’écho de l’église à votre avantage ?
CP : J’ai commencé dans des églises et des synagogues,, en ce qui concerne mon travail et son exécution, j’ai toujours adoré l’écho et les propriétés acoustiques d’un lieu,,, donc j’attends beaucoup de cet aspect de notre collaboration,, même si nous répétons dans un espace bien plus sec, les Instants Chavirés.
M : Charlemagne travaillant la répétition à partir de sons qui se prêtent bien à ce contexte (piano, voix, field recordings), il ne devrait pas trop avoir de problème avec l'acoustique. Pour ma part, ça va être plus compliqué, mais j’ai prévu de m’adapter. En même temps, j'y ai vu Merzbow et la sonorisation était parfaite, donc j'ai quand même des chances de pouvoir me lâcher sur les fréquences.

Charlemagne Palestine, vous avez commencé comme carillonneur à l’église Saint Thomas de Manhattan. Mondkopf, quant à vous, vous utilisez souvent des cloches dans vos morceaux. Y a-t-il pour vous une signification de la cloche ? Est-ce que pour Sonic Protest, dans cette église, vous allez vous retrouver autour de cet aspect-là ?
M : Je crois que ça vient juste de l'amour de ce son. Il est pur, il peut être puissant aussi bien que délicat. J'aime la dimension dramatique que des cloches peuvent apporter à une pièce. Il suffit d’écouter le Miserere d'Arvo Pärt ! Je n'ai pas de vraie cloche chez moi, mais cette question me donne envie de trouver un moyen d'en utiliser.
CP : Généralement, j’ouvre mes rituels avec deux verres,,, dernièrement je les entrrrechoque comme des cloches,,on verrra bien et on entendrrra bien si, tous deux, nous acquiescooons au DingDong ou si nous le refusoooons !!

Vos travaux respectifs explorent la dimension rituelle, spirituelle de la musique, mais avec des moyens très différents, des grammaires sonores presque opposées. Pensez-vous que vos lexiques musicaux respectifs seront complémentaires ?
CP : C’est vous qui nous dirrez s’ils le furrent ou noon.
M : Je ne crois pas apporter quoi que ce soit à Charlemagne, mais je sais que sa musique peut me servir de chemin pour faire évoluer la mienne.
Charlemagne Palestine, vous êtes un contemporain de Phill Niblock, Terry Riley, Steve Reich, Philip Glass, autant de musiciens qui ont beaucoup compté dans le parcours musical de Mondkopf. Jouer ensemble, est-ce transmettre un héritage ?
CP : Écoute le préseeent,,, joueee le préseeent,,, agis avec le préseeent,,,, c’est tout c’qui compte !!!! Ce qui est fait est fait,,, le passé appartient au passé,,,, owww is nowww and wowwww is wowwww!!!

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